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10 May 2023

En mai, fais ce qu’il te plaît – Ecrire et déranger

Voilà longtemps que je n’ai pas écrit sur ce blog. J’ai eu besoin d’un temps pour me recentrer avec une année 2022/2023 qui avait été riche en aventures, entre la résidence, la publication d’Amaya, la finalisation de mon manuscrit…

Je reviens avec une question compliquée pour un auteur, celle d’écrire des scènes qui dérangent et qu’il faut ensuite assumer… Auprès de ses proches, son public, de ses proches à nouveau et encore.

En ces temps où nous sommes passés du politiquement correct au confinement de la parole, il y a tant de sujets qui sont considérés comme un danger pour la bien-pensance. Il y a d’abord les entorses à la morale, dont les sept péchés ne sont qu’un incipit à une longue liste d’interdits. Il y a les addictions et les déchéances corporelles et mentales, la folie, les relations humaines tordues, malsaines avec leur cortège de violences, d’humiliations, de tortures, les amitiés périmées, les amours pourrissantes. Il y a aussi les transgressions qui ne sont pas à la mode, la cruauté gratuite et la délation en temps de paix parce qu’en temps de guerre ça peut rapporter gros, le sexe et ses déviances dont l’abstinence n’est pas la moindre. Il y a les maladies mortifères, contagieuses, les mutilations, le suicide, la nécrophilie…

Bref ! Tellement de sujets à explorer : les interdits, le sang, le sexe… Si on a le courage d’affronter les clins d’œil salaces, la désillusion de ses enfants qui découvrent que leur mère est aussi une femme, les interrogations muettes de son compagnon qui se demande avec qui, réellement, il partage sa vie… Ce que les gens lisent de vous et qu’ils cherchent à conjuguer avec ce qu’ils savaient, jusque maintenant…

Sont sortis récemment en librairie deux excellents livres (non je ne parle pas des fantasmes de Bruno L.), je vous parle de deux livres délicieusement incorrects et furieusement dérangeants : La chair est triste hélas d’Ovidie et Les deux Beunes de Pierre Michon. Au cinéma, un film retrace la vie d’Hokusai, ce peintre qui a révolutionné l’art des estampes et qui a été pourchassé pour avoir transgressé les règles de l’art.

On connaît surtout de lui La Vague, mais j’avais envie de vous parler d’un autre tableau, un shunga (une gravure érotique). En français, il a été nommé : Le rêve de la femme du pêcheur. Son titre original est : L’Ama et le Poulpe. Les Amas étaient des femmes plongeuses, des femmes puissantes qui affrontaient les profondeurs marines et leurs monstres. Les occidentaux ont interprété la scène comme un viol alors que les Japonais le considèrent comme un acte sexuel consenti et jouissif illustrant la légende de Tamori, la pêcheuse d’ormeaux qui vola le diamant du roi des mers et fut poursuivie par son armée (dont des pieuvres).

Laissez-moi vous raconter ce que je vois dans ce shunga et uniquement ce que je vois, sans interprétation aucune :

« La femme est allongée, nue. Les montagnes forment sa couche et l’horizon s’écrit à l’encre noire. De sa tête penchée vers l’arrière pendent de longs cheveux noirs, noués en un chignon lâche et langoureux. Ses traits sont paisibles, son front lisse de toute préoccupation. Elle garde les yeux fermés. Ses lèvres sont closes elles aussi. Seules ses jambes sont ouvertes, écartées. Dans ce vide laissé vacant, se tient un poulpe géant. Ses tentacules enserrent le corps de la femme. On peut voir les appendices parsemés de ventouses s’accrocher à sa peau pâle, presque livide. On peut voir les mains de la femme s’agripper aux lianes de chair et son corps arcbouté vers le haut, tétons dressés. Son ventre est rond, son pubis recouvert de poils pareils aux épines des pins sur la montagne. Un tentacule est posé sur son mont féminin et glisse vers les lèvres, on n’en voit pas l’extrémité, on ne peut qu’en suivre la trajectoire, supposer la caresse qui file vers le clitoris. Installé entre les cuisses béantes, le poulpe regarde la femme de ses yeux ronds. Les paupières grandes ouvertes ne cillent pas. Des veines serpentent sur son crâne. Il ne quitte la femme ni du regard, ni de la bouche. Une bouche arrondie comme ses yeux, entrouverte pour laisser passer un petit bout de langue rosée. Une bouche froncée comme un nez qui renifle, une bouche aux lèvres épaisses et moelleuses posées sur la vulve de la femme. »

Et vous, qu’y voyez-vous ?

11 Jan 2023

d’Elisa à Valérie

On ne le dira jamais assez, il faut se méfier des débuts d’année.

Certains formulent des vœux qui vont se réaliser, d’autres rêvent à des étoiles accessibles ; d’autres encore se lancent dans des projets fous qui les entraînent au large sans bouée…

Il y a 10 ans tout juste, nous étions en 2013 quand je me suis lancé ce défi.
Écrire un roman.

À cette époque, je composais déjà des nouvelles. J’aimais tricoter une intrigue pour cueillir mon lecteur dans un twist final à lui donner le tournis. Mais étais-je capable de mener une histoire qui reste debout sans la voir s’écrouler autour de la page 30, 70, 120… ?

Alors, je me suis lancée dans l’écriture d’un roman.

Et j’ai découvert ce que représentait d’achever un manuscrit de 200 pages, de travail, de rigueur, de travail encore, de temps quand les autres s’amusent, de travail encore plus, de grandes joies, de flash de terreur froide à la pensée de l’erreur fatale qui se niche dans le synopsis, de travail toujours…

Et j’ai adoré !

Peu importe la quantité de sueur, je me sens rarement aussi vivante que lorsque j’écris.

Donc j’ai terminé ce premier roman, qui a obtenu deux prix de lecteurs, qui s’est vendu à plusieurs milliers d’exemplaires. Puis j’en ai écrit un deuxième qui a été publié et qui est en train de rencontrer son public. Puis j’ai obtenu une bourse de création en résidence d’écriture, ce qui m’a permis d’écrire le troisième. Je suis en train de composer le quatrième…

Bref ! J’écris. Je gribouille, griffouille, gratouille…

Et à chaque fois, le même phénomène se reproduit.

Une fois écrit, ce roman mérite-t-il d’être publié ?
Une fois publié, qui va dépenser un billet pour l’acheter ?
Une fois acheté, est-ce qu’on va aimer l’histoire, les personnages ?

Tous ces doutes m’accompagnent depuis dix ans.
Une décennie à subir leurs assauts qui jamais ne cessent.

Combien de romans me faudra-t-il écrire pour que je me sente légitime ?
Combien de lecteurs qui achètent mon livre ?
Combien de retours enthousiastes ?

Je suis en train de comprendre que ces questions ne se lasseront jamais de me tourmenter, qu’elles seront toujours prêtes à bondir à la moindre occasion pour dévorer ma confiance fragile. Que peu importe le nombre de compliments, une seule critique aura le pouvoir de me terrasser, me jeter plus bas que terre, dans les affres de la grotte aux doutes…

Tant que je ne saurais pas qui je suis en tant qu’autrice et ce que j’ai envie d’écrire au plus profond, je serai leur proie offerte et vulnérable.

Quand j’ai commencé, je rêvais d’écrire l’amour à la manière d’une Marguerite Duras, l’aventure comme Victor Hugo et de dénoncer les injustices sociales à l’instar d’un Émile Zola. Le tout dans un seul livre.

Trois romans plus tard, je m’aperçois que j’aime jouer avec les mots et danser sur leur musicalité mais je les aime encore plus quand ils véhiculent l’émotion et me transportent dans un autre monde. J’aime raconter des histoires et plus que tout, j’aime relayer les mémoires. J’écris pour parler aux silences. J’écris ce que je vois et au-delà, ce en quoi je crois.


D’un côté, il y a ce monde en décomposition, pertes humaines et pertes de repères.
Tant de personnes en errance, qui s’effacent, plus une trace…
Il y a ces jours et ces nuits, boucles en cauchemars, aucune issue possible.
Il y a ces corps malmenés, ces blessures infligées aux plus vulnérables
par ceux-là mêmes qui auraient dû les en protéger.
Il y a cet arsenal de mensonges, coercitions, trahisons, au nom du profit, celui de quelques-uns.
Il y a ces abandons, au bord des routes en danger.
Et au final, ces bras qui renoncent, ces cœurs qui s’enfoncent.

De l’autre côté, il y a ce souffle qui se lève et révèle la magie de l’univers.
Il y a la vie, la naissance et la mort.
Il y a l’émerveillement et les doutes qui ouvrent sur de nouveaux horizons.
Il y a l’amour et la main tendue, l’inattendu qui ré-enchante la grisaille…
Parfois aussi, il y a ces fins heureuses auxquelles s’accroche l’espoir.

Entre obscurité et aube nouvelle, je fraye mon chemin.

Car au plus profond, il y a ces révoltes qui cherchent leur voix.
Un petit bout de mot qui roule pour ne pas être enterré sous la mousse.
Un cri qui monte, qui perce les silences, au-delà de la nuit et des bonnes consciences.

Mes romans relayent les mémoires de ceux qui ont perdu leur histoire.

Pour poursuivre ma route, j’ai pris conscience que j’avais besoin de nourrir mon authenticité. C’est pourquoi j’ai décidé d’enlever mon masque, d’avancer à visage découvert, prête à m’exposer.

En 2023, je referai le chemin à l’envers, je ne serai plus Élisa vivant sous le nom de Valérie, mais Valérie écrivant sous le nom d’Élisa.

Je referai le chemin à l’envers, d’Élisa à Valérie, riche de toutes les expériences, explorations et explosions que j’ai eu la chance immense de vivre depuis dix ans.

Vous venez avec moi ?

À bientôt,
Valérie (Elisa)

PS : Je suis accompagnée sur mon chemin par Florence, une coach absolument fabuleuse, très fine dans ses analyses et animée de cette bienveillance qui vous aide à grandir dans le respect de qui vous êtes. Pour en savoir plus, cliquez ici.

12 Sep 2022

Mercis

Les dédicaces d’été sont terminées.
Certains auteurs adorent, d’autres détestent ou pour le moins, ne se sentent pas à l’aise avec l’exercice. Il est vrai que si nous avions manié facilement la parole, nous n’aurions peut-être pas choisi de coucher les mots pour nous exprimer.

Je fais partie des auteurs pour qui sortir de sa grotte est compliqué mais en même temps, j’adore le contact avec les lecteurs et je reviens de ces rencontres toujours enchantée et émerveillée par la richesse de chacun.

Voici comment ça se passe pour moi.

Je m’installe derrière une table les libraires ont déposé mes livres (quelle joie de parler au pluriel !). Je m’assieds parce que j’ai remarqué que debout, les gens n’osent pas m’approcher, je suis trop grande.

Et j’offre à chaque passant un sourire ; à ceux qui l’acceptent, je tends un marque-page, un flyer, un extrait du catalogue de la maison d’édition. Un bout de papier, comme objet médiateur entre nous.

Certains refusent. « Non merci ».
Des « non merci » qui s’excusent, gênés ; certains consolent, d’autres mettent à distance.

C’est ce qui m’est parfois difficile : dissocier le refus du rejet. Pour certains, le rejet glisse comme l’eau sur la paroi glacée d’un iceberg. Chez moi, chaque goutte creuse son sillon, perfore ma carapace surface, s’insinue jusqu’à mes doutes les plus profonds. Je ne suis plus un roc, mais un bloc de gravillons qui s’effritent, bientôt poussières.

Et puis, il y a ces sourires qui s’avancent vers vous, les yeux curieux, brillants d’anticipation à l’idée d’une histoire nouvelle. Quelques mots échangés, connexion éphémère et intense. Avec le temps, les visages se fondent dans la ronde, mais les yeux s’accrochent à ma mémoire. Je ne les oublierai jamais, je crois. Pas plus que les mots que nous avons échangés.

Lorsque ces personnes s’éloignent, je les accompagne intérieurement d’un merci.
Merci à vous tous, qui vous êtes arrêtés, qui avez pris quelques minutes de votre temps, qui vous êtes intéressés et parfois laissés tenter par la découverte d’une nouvelle écriture.

Rendez-vous l’année prochaine 😊

15 Jul 2022

Auteurs en vacances

C’est l’heure des vacances. Nous nous apprêtons tous à adopter un rythme différent. Les plus chanceux se préparent à de nouvelles expériences, de nouvelles découvertes…

J’en étais là de mes réflexions quand une question a surgi. Que fait un écrivain pendant ses vacances ? Pour nous, auteurs amateurs ou qui avons un autre métier, ployons tellement toute l’année sous le joug des contraintes professionnelles, que les vacances nous apparaissent comme des temps merveilleux, libérés, que nous pourrons dédier à l’écriture.

Est-ce qu’un écrivain à temps plein déconnecte complètement ? Ras-le-bol de plancher sur des pages qui peinent à noircir, à faire bouger les lignes, trembler les mots…

Est-ce qu’il a vidé ses tiroirs et terminé son manuscrit juste avant de boucler sa valise ? Et maintenant, il marche sur la plage ou les chemins de montagne en rêvant au prochain…

Ou bien il continue – peu importe les vacances parce que la vie sans écrire, c’est trop dur, le manque trop puissant ! Son unique préoccupation, trouver un moment pour s’échapper et griffonner quelques mots…

Qu’en pensez-vous, vous qui êtes, comme moi, passionnés par l’écriture ?

Je suppose que les réponses se situent quelque part entre ici et là-bas…

De mon côté, je termine la deuxième version du roman qui m’a tant occupée cet hiver à la Villa Clémentine. Et j’avoue que j’ai bien besoin d’un break, pour faire le vide et laisser la place à un nouveau projet.

Mais je ne vous oublie pas. Et pour ceux qui ont autant envie de chausser leurs tongs et d’emporter leur stylo, je posterai chaque vendredi de cet été un petit jeu d’écriture. Objectif : s’amuser, écrire les pieds nus, dans le sable ou ailleurs, la tête sous le soleil ou dans les nuages…

Ça commence aujourd’hui…
Cliquez ici !

Bonne écriture et Bel été,
Rendez-vous en septembre,

Elisa

27 May 2022

Résidences d’auteurs

Qu’est-ce qui se cache sous cette appellation ? Quelle réalité, quels rêves…
Le numéro 17 de la revue Eclairages diffusée par l’ALCA explore les différentes facettes des résidences d’auteurs, celles qui sont ancrées dans les territoires, à l’international…

Tout ce que je pourrais ajouter en conclusion de cet article tient en deux mots : « Quelle chance ! ».
Je me sens tellement privilégiée d’avoir vécu cette résidence à la Villa Clémentine cet hiver, et qui se poursuit encore pour moi aujourd’hui, dans mes questionnements, mes explorations…


Un immense merci à Marion Colin pour son accompagnement, ainsi qu’à toute l’équipe de l’Alca ; à Madelyn et ses collègues de Wiesbaden, à la Professeure Kirsten von Hagen de l’université de Francfort, à Birgit, la professeure de la classe que vous voyez en photo dans l’article et à toutes les belles rencontres que j’ai faites au cours de mon séjour.

Pour lire la revue dans sa totalité, cliquez ici.

PS : Pour mieux comprendre ce que j’ai ressenti et que j’exprime dans l’article : la photo de la Villa Clémentine de nuit ; la pièce éclairée était celle de mon bureau…

13 May 2022

La mort des grands arbres

Pour Chateaubriand, « La forêt précède l’homme, les déserts le suivent ».
En réalité, les hommes de Cro-Magnon et de Lascaux vivaient dans un environnement composé de steppes et de toundras. C’est nous qui avons créé la sylve en Europe il y a moins de 10 000 ans, en plantant d’abord des bouleaux et des pins, puis des noisetiers et des chênes ; enfin des hêtres et des conifères, essences nécessitant ombre et humidité.

Depuis lors, il existe une connivence étroite entre la forêt profonde et nous. Territoire nourricier pour les paysans en période de famine qui pouvaient y récolter châtaignes à farine et plantes médicinales, réserve de chasse pour les nobles, refuge pour les ermites, les rebelles, les proscrits et les sorciers…

Depuis trop longtemps déjà, les grands arbres souffrent.
Et la déforestation, qu’elle qu’en soit l’origine, met notre planète en danger.
Quand on abat une forêt, on détruit une usine naturelle de dépollution de l’eau, du sol et de l’air. On fracasse un système qui absorbe le gaz carbonique que nous produisons et qui nous offre en retour l’oxygène dont nous avons besoin pour vivre. On massacre la biodiversité qui nous procure bon nombre de nos remèdes. On y laisse une part de l’humanité et quelques grammes de notre âme.

Au nord de l’Allemagne, Heinrich Heine aimait se promener dans la belle forêt de sapins du Harz. Goethe y a situé la célèbre « Nuit de Walpurgis » de son Faust. En 1983, il reste peu de survivants. Les arbres ont été décimés par les fumées d’usine, les gaz d’échappement et les pluies acides. La sècheresse et les parasites leur ont donné le coup de grâce.


Avec l’océan, les forêts tiennent une grande place dans ma vie. J’aime venir m’y ressourcer et j’aime y situer mes histoires. Dans Le silence à l’ombre des pins, mon héroïne Charlie était entomologiste, spécialiste des insectes xylophages et c’est au cœur des Landes qu’elle trouve refuge et qu’elle se reconstruit.

Amaya est terrifiée par les ombres des bois denses mais elle va se battre pour sauver les arbres qui meurent pour une raison inexpliquée. Pour eux, elle va affronter ses doutes et ses peurs les plus profondes.

Son histoire est aussi un plaidoyer en faveur de notre mère nature. Pour que les arbres cessent de brûler et les eaux d’être empoisonnées au nom d’un profit éphémère en sacrifiant la valeur suprême qu’est la vie.

Quand on veut écrire un récit « écologique », il est facile de tomber dans la moralisation et la bien-pensance, deux carcans de la pensée que je déteste. J’ai donc choisi la voie du fantastique parce que c’est une façon d’opposer les méchants profiteurs aux gentils utopistes sous une forme métaphorique qui ne culpabilise pas les lectrices et les lecteurs.

Offrir un moment d’évasion, donner envie de marcher en forêt, écouter le chant des oiseaux et le bruissement des feuilles chantant avec le vent, ouvrir les rêves… Voilà quel était mon but.

Bonne lecture et bonne balade,
Elisa

27 Apr 2022

Histoire d’Amaya

Proposer de nouveaux récits au monde…
Voilà comment je concluais mon article du 15 décembre dernier. Celui où je m’agaçais contre la cancelculture qui veut transformer nos princesses en princes et inversement.

Le monde a besoin d’histoires. Il n’existe pas une société, actuelle ou ancienne, qui puisse s’en passer. Certes, nous avons besoin de nous distraire, d’oublier notre propre destinée même si ce n’est que le temps d’un livre ou d’un film. Mais nous avons aussi et surtout besoin des histoires pour nous projeter dans un monde qui nous aide à comprendre ce qui est en jeu autour de nous, dans les choses humaines, en soi…

Septembre 2020, me voilà en vacances à Ondres, à la frontière entre mes Landes océanes et le Pays basque que je connais encore mal. Dans mes valises, je traîne mes regrets de n’avoir pas pu réaliser ce tour du monde, j’étouffe sous mon masque, j’ai envie de liberté, et plus encore de rêver… Bref ! je suis traversée par un immense désir de réenchanter ce monde morose.

J’arpente les montagnes basques, je monte humer le parfum des pottocks et des sorcières au sommet de la Rhune, je descends au fond des grottes affronter l’obscurité, j’arpente les crêtes en forme de dos de dragons, j’étanche ma soif aux fontaines magiques…

Peu à peu, je fais le lien avec mes nombreuses vacances en Bretagne et mes séjours au Québec. Ces trois contrées se sont déjà croisées par le passé. C’était au XXVIIème siècle, quand les morutiers de France embarquaient pour des campagnes de pêche les menant jusqu’aux Terres-Neuves.

Dans l’estuaire du Saint-Laurent, et au-delà des concurrences commerciales, Basques, Bretons et Amérindiens ont parfois noué amitié. Autour des feux le soir, ces hommes issus d’une culture orale partageaient leurs récits et leurs contes.

J’avais un livre à écrire au Québec et je n’arrête pas d’y penser en voyant voler les milans dans le ciel. Alors, comme je suis têtue ascendant bossue, je me suis dit ceci : « Si je ne peux pas aller au Québec, le Québec viendra à moi ».

C’est là, dans ces montagnes basques, qu’est née l’histoire d’Amaya, fille d’Iraty.

Depuis toujours, Amaya n’a qu’une envie : fuir cette forêt épaisse qui l’oppresse. Elle avait enfin trouvé sa voie. La semaine, elle répare des objets cabossés qu’elle vend sur les marchés et de temps en temps, elle se joint aux sorties en mer que son amie organise pour la sauvegarde des grands dauphins du Gouf de Capbreton.

À la mort de son grand-père, celui-ci lui lègue un objet sacré, une ceinture amérindienne qu’on appelle un wampum. Surgissent alors de toutes parts des inconnus qui la réclament : Nathan, émissaire des Innus, tribu autochtone québécoise, des meneuses de loups qui semblent en savoir long sur le passé de sa famille, et même des druides qui tentent de la voler…

La vie d’Amaya bascule. Pour sauvegarder son héritage, elle doit se réfugier à Etche Otsoa, la maison des louves, au cœur de la forêt d’Iraty. Un sanctuaire, lui dit-on. Pourtant, son grand-père voulait à tout prix la tenir éloignée de ce lieu. Et s’il avait ses raisons…

Dans ces bois sombres qui la terrorisent, Amaya devra affronter ses peurs les plus profondes pour laisser libre cours à sa nature sauvage et libérer la magie du monde.

Ce nouveau livre, c’est à Soulac, lors de la Fête du livre chère à mon cœur, que je vais le découvrir pour la première fois, le toucher, le caresser, le feuilleter… Je suis tellement contente à cette idée.

Un peu anxieuse aussi. Je suis sortie des sentiers que j’explore habituellement. J’en profite pour remercier Benjamin, mon éditeur, pour sa confiance. En quoi ce livre est-il différent ? La magie est toujours un peu présente dans mes récits mais là, soyons clairs, j’ai carrément plongé. Au travers des mythologies de ces trois peuples, basque, breton et innu, j’ai exploré tous les mondes, visibles et invisibles. Je me suis laissée happée par les mystères qui nous entourent. C’est donc un récit fantastique que je vous propose aujourd’hui.

Je vous en dirai plus au cours des semaines à venir. Je vous raconterai la souffrance des grands arbres qui suffoquent, la tendresse des loups, la puissance des femmes sauvages et leur solidarité, le pouvoir des eaux rougies au fond des grottes… Je vous présenterai Amaya, qui devra lutter pour vaincre ses démons intérieurs, Nathan, Freddy, Meara, Margot… et bien d’autres.

En attendant, si vous voulez lire un extrait, cliquez ici.
Bonne lecture,
À bientôt,
Elisa

Dans tous les lieux habités par la souffrance se trouvent aussi les gués, les seuils de passage, les intenses nœuds de mystère. Ces zones tant redoutées recèlent pourtant le secret de notre être au monde, ou comme l’exprime la pensée mythologique : là où se tiennent tapis les dragons sont dissimulés les trésors. » Christiane Singer

04 Apr 2022

Silence, on tue !

Je me souviens encore des circonstances qui m’ont poussée à écrire Le silence à l’ombre des pins. La visite d’une exposition sur les femmes envoyées au bagne, suivie de la découverte du Musée du Vercors relatant le martyr des résistants de la seconde Guerre Mondiale. Je m’étais dit alors : « Quelle chance de ne pas avoir connu la guerre ».

Je m’étais ensuite demandé quelles traces avaient laissé ces drames en nous. Et c’est ainsi que je m’étais intéressée à la psycho généalogie et aux blessures qui se transmettent de génération en génération.

Quelle naïveté !

Depuis, nous avons connu les attentats djihadistes au nom d’une religion dévoyée, les violences sociales de gilets jaunes matraqués, les noyades des rescapés climatiques, une pandémie liberticide et aujourd’hui, boulet sur le canon, la guerre explose près de nos frontières… (pardon si j’en oublie).

Alors que je prétends écrire pour parler aux silences, je dois constater que ces grandes catastrophes me rendent muette. Mes mots semblent si dérisoires pour ne pas dire futiles quand des êtres humains meurent, sont torturés, mutilés ou violés, quand les longs cortèges d’errants réapparaissent sur les routes bombardées…

Je ne suis ni experte géo-politologue, ni témoin direct de ces événements tragiques. Que pouvais-je ajouter aux débats qui puisse être utile ? Je l’ignore. J’ai beau chercher, je ne trouve pas. Alors, je reste là avec mes mots fragiles et désarmés, impuissants à repousser les ombres qui recouvrent le monde.

Sidération d’écriture.
Le choc est si grand que je ne parviens plus à exprimer d’émotions, ni à parler aux silences.
Ma seule consolation est que d’autres, nombreux, prennent la parole.

Je leur laisse la place, libre de me réfugier dans l’imaginaire.
Depuis toute petite, les contes et les légendes m’ont apporté de nombreuses clés et ouvert la porte sur des univers très loin de ma propre culture. Au travers de leurs métaphores, symboliques ou allégories, ils permettent à chacun de construire sa propre vision du monde.

Pendant la pandémie, j’ai mis de côté le thriller sur lequel je travaillais pour me jeter dans l’écriture d’un conte moderne. Puisque j’étais incapable de réinventer le monde, au moins pouvais-je tenter de le réenchanter, l’instant de quelques pages.

Mais ce n’était pas dans mes intentions aujourd’hui de vous présenter mon prochain roman.
Je voulais juste vous souhaiter de continuer à célébrer la vie en ce printemps terrible et terrifiant, dans ce monde qui a besoin de compassion mais aussi de joie pour garder notre lumière vivante, de poètes autant que de reporters, de soignants encore plus que de guerriers.

À bientôt,
Élisa

10 Feb 2022

Dessein d’une courbe

Qu’est-ce qu’une courbe, sinon la partie la plus belle et la plus dynamique d’un cercle, un croissant de lune, le galbe d’un corps ou celui d’une montagne, un virage inattendu, un arc de cathédrale ou de ciel.

Partant du principe qu’un petit dessin vaut mieux qu’un long discours, nos penseurs s’en sont emparés pour décoder nos mystères, comme la courbe du deuil ou celle de la conduite de projet, si courante dans les entreprises. Oui, oui, il y a des moments et des endroits où l’on courbe beaucoup, surtout le dos…

Cette semaine, après ma frénésie ménagère, j’ai bouclé la première version de mon manuscrit.
Vous ne m’avez pas vue sauter partout, je vous laisse imaginer, c’est mieux.

C’est toujours la partie la plus difficile pour moi. Cracher mes mots sur la page et savoir qu’il n’y a pas grand-chose de propre dans ce que j’écris. Les mots sont moches, ils le savent et ils m’appellent au secours ou alors ils hurlent comme dans une manifestation ou un match de football : « Aux chiottes, l’auteure ! ».

Et moi, je dois faire semblant de ne rien entendre, résister à mon envie de leur jeter une bouée dégonflée et continuer d’enlaidir mes pages. Puis retrouver mon vilain petit canard de manuscrit dans quelques semaines / mois, le temps de prendre du recul et, promis-juré, je le sortirai alors du bourbier où je l’ai plongé pour en faire la meilleure histoire possible.

Donc voilà, cette phase, douloureuse pour tout le monde, est terminée. Et finalement, grâce à la résidence, ça a quand même été plus facile que d’habitude. Mais je vous avoue que pour l’instant, j’ai épuisé mon stock de mots.

Le temps de les rechercher, sur le bout de ma langue ou ailleurs, je vais laisser ces jolies courbes illustrer les longs processus d’écriture que traversent les auteurs pour transformer 80 000 signes en un roman qu’ils seront fiers de porter.

À bientôt,
Elisa

24 Jan 2022

Rêv’Bulle

Chers amis,

Je vous écris depuis Wiesbaden où je séjourne depuis une semaine. De retour pour la seconde partie de la résidence d’écriture.

Comment vous dire à quel point j’avais hâte d’y être.
Depuis mon retour de Francfort début novembre, j’avais repris le cours de ma vie avec l’impression bizarre d’être là sans l’être. Comme si une part de moi était resté en Allemagne, en suspens.

Me voilà donc revenue pour poursuivre (je n’ose pas dire achever) ma mutation.

Les travaux de rénovation étant terminés, je réside à la Villa Clémentine. C’est un manoir magnifique et imposant, commandé à la fin du 19ème par un richissime industriel pour sa femme qui meurt malheureusement peu après la fin de sa construction. Le lieu est chargé d’histoire, il a notamment servi de refuge à la reine Nathalie de Serbie après son divorce. Elle refusait de se séparer de son fils, dont le roi Milan voulait la garde. Finalement, il réussira à le lui enlever avec l’aide de la police locale.

L’intérieur est magnifique avec ses moulures, ses parquets et ses luminaires gigantesques. C’est dans ses salons que fut tournée en partie la série télévisée inspirée par les Buddenbrooks, roman de Thomas Mann pour lequel il a reçu le prix Goncourt en 1929.

Plusieurs fois menacée de destruction, la villa est aujourd’hui le siège de la maison de la littérature du land Hesse et je suis fière d’en être l’une des résidentes.

Je mesure la chance que j’ai de séjourner dans un bâtiment aussi inspirant.
Mon appartement est situé tout en haut, dans ce que je suppose être les anciennes chambres de bonnes.

Clair et lumineux la journée.
Sombre et craquant de toutes parts la nuit, quand tout le monde est parti et que je reste seule avec les ombres à l’affût derrière ma porte vitrée, si fragile qu’un coup d’épaule pourrait l’ébranler, elle et mes peurs les plus profondes.
Idéal quand on écrit un thriller.
Je vous assure que, cachée sous mes couvertures, je n’ai pas besoin de chercher mes mots pour décrire mes terreurs.

À Francfort, j’ai eu la chance de vivre dans une bulle en dehors du monde où rien ne venait s’interposer entre moi et l’écriture. Ce n’est pas le cas cette fois-ci.

D’abord parce que mon tête à tête avec mon roman n’est pas total.
Plusieurs interventions ont été programmées auprès des étudiants en lettres de l’Université de Francfort et aussi d’autres publics de lecteurs. Deux de mes nouvelles ont été traduites et sont l’objet de débats autour de mes thèmes d’écriture : les forêts et les arbres, les contes, les silences, la transmission… Je réponds aussi à de nombreuses questions sur mes processus d’écriture et les atouts d’une résidence.

Autant d’expériences où j’apprends à parler de moi d’une façon différente, plus intime. Lors des dédicaces, il s’agit surtout de présenter son nouveau livre. Passé entre les mains des correcteurs et de l’éditeur, il y a longtemps que l’ouvrage ne nous appartient plus totalement.

Parler de son projet en cours d’écriture demande de dévoiler ses intentions, pour certaines toujours rattachées à ses tripes, encore difficilement dicibles.

Ce faisant, je prends conscience à quel point cette étape est fondatrice.
Qu’à chaque présentation, je grandis un peu plus.

Que cette nouvelle bulle n’a pas pour vocation de m’isoler du monde, mais de m’apprendre à m’envoler vers lui, en légèreté. Entre ses parois, prendre de la hauteur et voler sans avoir le vertige, car rien ne peut s’opposer à mes rêves et surtout pas la peur.

Je vous dis à bientôt,
Prenez soin de vos rêves,
Élisa

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