En mai, fais ce qu’il te plaît – Ecrire et déranger
Voilà longtemps que je n’ai pas écrit sur ce blog. J’ai eu besoin d’un temps pour me recentrer avec une année 2022/2023 qui avait été riche en aventures, entre la résidence, la publication d’Amaya, la finalisation de mon manuscrit…
Je reviens avec une question compliquée pour un auteur, celle d’écrire des scènes qui dérangent et qu’il faut ensuite assumer… Auprès de ses proches, son public, de ses proches à nouveau et encore.
En ces temps où nous sommes passés du politiquement correct au confinement de la parole, il y a tant de sujets qui sont considérés comme un danger pour la bien-pensance. Il y a d’abord les entorses à la morale, dont les sept péchés ne sont qu’un incipit à une longue liste d’interdits. Il y a les addictions et les déchéances corporelles et mentales, la folie, les relations humaines tordues, malsaines avec leur cortège de violences, d’humiliations, de tortures, les amitiés périmées, les amours pourrissantes. Il y a aussi les transgressions qui ne sont pas à la mode, la cruauté gratuite et la délation en temps de paix parce qu’en temps de guerre ça peut rapporter gros, le sexe et ses déviances dont l’abstinence n’est pas la moindre. Il y a les maladies mortifères, contagieuses, les mutilations, le suicide, la nécrophilie…
Bref ! Tellement de sujets à explorer : les interdits, le sang, le sexe… Si on a le courage d’affronter les clins d’œil salaces, la désillusion de ses enfants qui découvrent que leur mère est aussi une femme, les interrogations muettes de son compagnon qui se demande avec qui, réellement, il partage sa vie… Ce que les gens lisent de vous et qu’ils cherchent à conjuguer avec ce qu’ils savaient, jusque maintenant…
Sont sortis récemment en librairie deux excellents livres (non je ne parle pas des fantasmes de Bruno L.), je vous parle de deux livres délicieusement incorrects et furieusement dérangeants : La chair est triste hélas d’Ovidie et Les deux Beunes de Pierre Michon. Au cinéma, un film retrace la vie d’Hokusai, ce peintre qui a révolutionné l’art des estampes et qui a été pourchassé pour avoir transgressé les règles de l’art.
On connaît surtout de lui La Vague, mais j’avais envie de vous parler d’un autre tableau, un shunga (une gravure érotique). En français, il a été nommé : Le rêve de la femme du pêcheur. Son titre original est : L’Ama et le Poulpe. Les Amas étaient des femmes plongeuses, des femmes puissantes qui affrontaient les profondeurs marines et leurs monstres. Les occidentaux ont interprété la scène comme un viol alors que les Japonais le considèrent comme un acte sexuel consenti et jouissif illustrant la légende de Tamori, la pêcheuse d’ormeaux qui vola le diamant du roi des mers et fut poursuivie par son armée (dont des pieuvres).
Laissez-moi vous raconter ce que je vois dans ce shunga et uniquement ce que je vois, sans interprétation aucune :
« La femme est allongée, nue. Les montagnes forment sa couche et l’horizon s’écrit à l’encre noire. De sa tête penchée vers l’arrière pendent de longs cheveux noirs, noués en un chignon lâche et langoureux. Ses traits sont paisibles, son front lisse de toute préoccupation. Elle garde les yeux fermés. Ses lèvres sont closes elles aussi. Seules ses jambes sont ouvertes, écartées. Dans ce vide laissé vacant, se tient un poulpe géant. Ses tentacules enserrent le corps de la femme. On peut voir les appendices parsemés de ventouses s’accrocher à sa peau pâle, presque livide. On peut voir les mains de la femme s’agripper aux lianes de chair et son corps arcbouté vers le haut, tétons dressés. Son ventre est rond, son pubis recouvert de poils pareils aux épines des pins sur la montagne. Un tentacule est posé sur son mont féminin et glisse vers les lèvres, on n’en voit pas l’extrémité, on ne peut qu’en suivre la trajectoire, supposer la caresse qui file vers le clitoris. Installé entre les cuisses béantes, le poulpe regarde la femme de ses yeux ronds. Les paupières grandes ouvertes ne cillent pas. Des veines serpentent sur son crâne. Il ne quitte la femme ni du regard, ni de la bouche. Une bouche arrondie comme ses yeux, entrouverte pour laisser passer un petit bout de langue rosée. Une bouche froncée comme un nez qui renifle, une bouche aux lèvres épaisses et moelleuses posées sur la vulve de la femme. »
Et vous, qu’y voyez-vous ?